mardi 29 octobre 2013

Bribes de mémoire 15. Ma grand-mère maternelle


(publié le 19 Octobre 2008 sur http://flora.over-blog.org)


ma grand-mère vieille
portrait que j'ai fait lycéenne
pendant les vacances

   Cette autre grand-mère, maternelle, je la fréquente tous les étés, pendant vingt ans, lointaine, au goût des vacances ensoleillées, d'une grande tendresse envers ses petits-enfants. Éternellement habillée en noir ou en bleu foncé, l'immanquable fichu sur la tête (noué souvent vers l'arrière, sur la nuque, à la différence de mon autre grand-mère), un tablier bleu devant elle - et surtout, volontiers pieds nus tout l'été. Elle passe son temps libre assise devant sa fenêtre, une jambe repliée sous elle. La fenêtre donne sur la route perpendiculaire qui se perd vers l'horizon boisé et sablonneux d'où les nuages de poussière soulevée par les charrettes à cheval font apparaître parfois ses deux fils, ses tripes, ses enfants chéris. Elle a aussi deux filles : ma tante et ma mère. Elle colle le petit suffixe tendrement possessif à leurs prénoms aussi bien qu'à ceux de ses fils. Cependant, elle ne se couche jamais sans avoir vérifié si les deux fils sont bien rentrés. Parfois, je la vois par la fenêtre : sa silhouette droite, les mains nouées sous son tablier, elle monte la garde au coin de la maison, telle une sentinelle, fixant la route jusqu'à plus de minuit, pour guetter le phare de la moto qui doit ramener le plus jeune chez lui. Elle peut alors se coucher, rassurée.

   
à gauche en corsage blanc, avec sa soeur
Mes intuitions d'enfant se vérifient aux récits de ma mère et de ma tante. Il y a des mères "à fils" et des mères "à filles". Ma grand-mère est des premières. Je ne saurai jamais ce qui lui a inspiré le mépris profond et inconscient, devenu impitoyable envers la gent féminine. Elle laisse partir - si elle ne la pousse pas - sa fille de dix-huit ans à l'autre bout du pays, au bras d'un homme qui lui inspire confiance et sympathie (entièrement méritées, au demeurant). Je suis intimement persuadée  qu'elle paye ce geste par des décennies de remords qu'elle tentera de compenser par un excès de tendresse et de générosité. 

   Ma mère souffre de l'éloignement, ne se plaint jamais de son enfance et appelle sa mère "ma douce mère", une expression jadis courante. L'été donne l'occasion à de joyeuses retrouvailles qui se terminent par des séparations poignantes pour un an.

J'ignore par quel instinct ma mère devient une mère gaie et aimante. Une chose semble sûre : ce n'est pas la sienne qui lui sert de modèle durant les dix-huit premières années de sa vie...



2 commentaires:

  1. autrefois les enfants étaient élevés si durement (même si leurs parents les aimaient, c'était ainsi, une éducation courante) alors comment ne pas reproduire le modèle? ton dessin sait si bien donner l'image de cette exigence (c'était peut-être aussi une manière de résister aux coups durs, j'imagine); Et la photo est magnifique.

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    1. Merci, chère Françoise, pour ton commentaire (cela fait un moment que je ne suis pas venue sur ce blog!)
      J'ai fait ce dessin dans les années 1960… j'étais adolescente et je passais mes vacances chez elle… Pour moi, elle était un mystère. Sa vie n'a pas été facile. Elle est morte d'un cancer à 81 ans…
      J'adore les vieilles photos.

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