mercredi 19 février 2014

Questionnement sur la beauté

   Je sais : je m'attaque encore à l'Everest, comme dirait Patrick qui se reconnaîtra... Je suis consciente qu'on peut consacrer toute une vie à ce sujet et encore, elle ne suffirait pas... Ce n'est que le début d'un questionnement qui est généralement plus intéressant que les réponses. Une façon de reconnaître notre parfait et innocent dilettantisme touche-à-tout... Cependant, ne vaut-il pas mieux se poser des questions que de planer en toute quiétude au-dessus de notre existence si courte? Il est vrai que Flaubert a assené un coup fatal à nos ardeurs avec son "Bouvard et Pécuchet" ! Mais, au fond, rien ne décourage un vrai dilettante...
Une chose est évidente : nous avons un besoin vital de beauté autour de nous. Plus difficile est de définir ce qu'elle signifie. Est-ce la même sensation pour tout le monde ? Y a-t-il des codes précis qui les provoquent en nous ? D'évidence, non, la réponse serait trop simple. De quoi dépendent les codes personnels ? De l'éducation, de l'histoire de chacun ? De la société, de l'époque dans laquelle nous vivons ? Y a-t-il une part innée dans notre perception ? Sans doute un peu de tout cela...

Le "Chien" de Giacometti

Lorsqu'il s'agit d'exemple, la plupart des gens pense à un paysage, une fleur ou une oeuvre d'art, voire à la beauté humaine, tout cela perceptible des yeux. Pourtant, les autres sens aussi peuvent être sollicités. Sans parler de la beauté abstraite d'une idée, d'un sentiment ou d'un théorème scientifique.
Une chose est en commun : la beauté provoque une sensation, une intense émotion, proche de la jouissance (pour heurter les bons sentiments, je dirais une décharge hormonale, "enzimale" dans notre cerveau). On peut ensuite la développer, la théoriser jusqu'à la hisser aux sommets de la spiritualité (à définir !), la relier à la recherche morale (beau = bon).
La beauté des oeuvres d'art serait extrêmement complexe à elle seule. Que signifie la "beauté véritable" ? Le nombre d'or sacré régissant l'harmonie dans l'art et l'architecture des siècles passés n'aurait-il pas subi de violentes secousses dans la création à partir de la première guerre mondiale?
Et pour finir, que serait la beauté sans la laideur? Serait-elle moins visible?...

lundi 17 février 2014

Dame Jeanne (microfiction)

   Par la fenêtre latérale, j'aperçois une branche du tilleul. Son balancement rythme, sur le chapelet de mon temps, les secondes qui défilent, inexorables. Le vert insolent des feuilles me suggère le souffle doux et vigoureux du vent printanier, celui que j'aimais tant, chargé des odeurs de l'averse violente et pressée... A l'image de ma vie...
   J'en ai bien profité, c'est vrai. Rien de perdu, aucun regret. Suis-je née sous une bonne étoile? Malgré la fin du parcours, je dirais oui, sans hésiter. Ce qui compte, c'est le milieu. Et il a été total, comblé... Si Don Juan existe-t-il au féminin, j'ai été cette conquérante.
   Je suis clouée sur ce lit, à présent. Je ne me remettrai plus debout. Le personnel soignant est très aimable,  souriant imperturbable, comme si mon état n'inspirait pas plus de compassion que celui de quiconque, débordant de santé... Je leur en sais gré. L'ombre d'inquiétude décelée dans un regard me plongerait dans un puits de détresse.
   Je ne peux pas dire que la nature m'a gratifiée d'une grande beauté. Plutôt du charme, ce pouvoir mystérieux qui me permettait d'ensorceler à peu près tout ceux que je voulais. Je les enveloppais dans un halo envoûtant qui les tétanisait : une pincée de promesse de félicité, un brin de fragilité qui leur laissait la possibilité de s'immiscer dans la fêlure... Rares sont les hommes qui ne sont pas flattés à l'idée de protéger le sexe faible. Le tout saupoudré d'un peu de mise à distance afin qu'ils soient ferrés à jamais, leur laissant entrevoir l'immensité de la perte si je leur échappais...
   Je me suis bien amusée et ce n'est pas si mal. Il y a des bilans plus bancals. A présent, je sais que c'est fini. Je me contente de demander à mes anges gardiens en blouse blanche de m'épargner la douleur. Je veux naviguer sur mon Styx sans souffrance, sans angoisse, et apercevoir les rivages inconnus les yeux ouverts. Avec même une certaine curiosité.

mardi 11 février 2014

Bribes de mémoire 17. Vacances d'été


   
   Curieux pouvoir suggestif maternel sur l'imaginaire enfantin ! Ma mère nous transmet ses sensations, sa propre nostalgie, débordantes dans ses récits, jusqu'à l'intonation de sa voix, pour ce coin de paradis ainsi créé qui, chose étonnante, se montrera à la hauteur, tous les étés de nos vacances de rêve...
   Objectivement, c'est un petit village perdu dans des collines boisées, mais pour nous, enfants de la Grande Plaine, habitués à sa  "planitude" absolue, la moindre bosse est empreinte d'exotisme. Une unique route asphaltée le traverse; les autres rues sont de sable et de poussière, transformées en torrents qui les dévalent, par temps d'orage. Les gens vivent de leurs maigres parcelles, ayant été forcés de se regrouper en coopérative après la répression qui suit les événements de 1956. Ils ont droit à un lopin privé, aux côtés des terres "communes". Malgré le fait que tous sont logés à la même enseigne, la distance entre paysans riches et pauvres de jadis persiste dans les consciences et empoisonnera quelques amours dépareillées.
   J'y passe les étés de mon enfance et de mon adolescence, dans un bonheur absolu (si, si, ça existe!), dans la légèreté octroyée par la liberté loin des parents, sous l'affection bienveillante de ma tante. Pourtant, aucune distraction sophistiquée à l'horizon: la télévision fait son apparition vers mes 15 ans, par un unique poste dans la Maison de la Culture. Cette dernière sert aussi de salle de projection pour la séance hebdomadaire de cinéma. Une épicerie, un bureau de poste, une école et une église - les adolescents de nos jours consentiraient-ils à sacrifier un seul jour de leurs vacances dans un tel trou perdu? 
   Je loge le plus souvent chez ma tante. Je garde leur vache, je participe aux travaux des champs : ramassage du foin, des pommes de terre, désherbage du maïs, je marche parfois des kilomètres pieds nus, mon grand plaisir. Il arrive qu'à la tombée du jour, nous arrêtions en chemin une charrette qui rentre, chargée d'une montagne de foin que j'escalade pour enfouir mon nez dans ce "matelas" au parfum de l'été.
   Mes tantes m'accompagnent à mes premiers bals; elles font "tapisserie" pour servir de gardes rapprochées. Premiers flirts ingénus : comment aurait-il pu en être autrement sous autant de regards vigilants? Mais cela n'empêche pas les premiers frissons, les regards obliques échangés, les étreintes chastes de ces danses démodées qui permettent de se toucher au lieu d'enfermer chacun dans sa bulle solitaire...